Les amateurs ou collectionneurs d’insectes n’ont pas de véritable terme pour les désigner : l’entomologie est la science des insectes et les entomologistes sont des chercheurs et savants, pas de simples collectionneurs. Dans la même logique, si le terme technique pour désigner les papillons est « lépidoptères », le nom « lépidoptériste » est réservé aux scientifiques travaillant sur ces créatures. En ce sens, on peut désigner ceux qui collectionnent les papillons pour l’aspect esthétique comme étant des « lépidoptérophiles », mais le terme n’est pas vraiment connu. Ce qui n’ôte rien à la passion de ces personnes, ni à la beauté de leurs collections. Jean-Yves Stoquer est l’un d’entre eux, et détaille avec entrain sa collection…
Les types de papillon que l’on peut collectionner
Cet homme sympathique est donc l’un de ces collectionneurs amateurs qui, malgré l’absence de bagage scientifique pour exploiter les informations que l’on peut obtenir des papillons, les collectionne pour de simples mais pures considérations esthétiques. Il explique tous les collectionner, sans véritable distinction, et les classer selon leur provenance géographique : soit en France, soit dans les autres pays (pour des raisons zoologiques et géographiques, il préfère classer les départements français d’Outremer comme la Guyane, Mayotte ou la Guadeloupe en-dehors de la France, mais c’est uniquement une question d’environnement). Pour chaque pays donné, il effectue une distinction précise entre les papillons de jour, que l’on nomme rhopalocères, et les papillons de nuit, que l’on nomme hétérocères. Il trouve également intéressant de placer en vis-à-vis les mâles et les femelles d’une même espèce, car cela permet d’observer un dimorphisme sexuel, qui peut être très marqué dans certains cas. Pour rappel, le dimorphisme sexuel désigne des différences physiques importantes entre les sexes, qui peuvent toucher les couleurs, les dimensions et de nombreuses autres caractéristiques physiques.
Par exemple, certaines femelles sont « aptères », c’est-à-dire qu’elle n’ont pas d’ailes, un phénomène que l’on peut observer chez certains papillons de nuit, et où l’adulte (mâle, dans ce cas) ne vole qu’en hiver. Parfois, la présentation d’un spécimen peut être encore plus détaillée : dans les rares cas où le papillon a été capturé à l’état de chenille, on conserve le cocon avec le sujet adulte, que l’on pique à côté du sujet adulte. D’un point de vue technique, si on parle de chenille avant que ne démarre la métamorphose, le papillon sorti de son cocon est appelé « imago ». Enfin, le collectionneur accroche sous chaque spécimen une étiquette qui doit mentionner : le nom en latin, le nom vulgaire, le sexe, et la date et le lieu de la capture. C’est un fonctionnement recommandé par les spécialistes, et en particulier les entomologistes travaillant dans les musées : cela facilite le classement, le rangement et le tri pour les professionnels du milieu, et s’adapte donc très bien aux amateurs. De plus, cela aide grandement lorsque la collection prend une taille conséquente : celle de Jean-Yves Stoquer comprend environ 3000 papillons, mieux vaut donc être bien organisé !
La capture des papillons
La capture des papillons soulève en soit plusieurs questions. D’abord, où les capturer, y a-t-il des endroits à privilégier, des zones particulièrement riches ? Ensuite, il y a la question de la personne qui capture les spécimens : si les collections ont une valeur, c’est bien parce qu’il est possible de les acheter. Mais notre ami collectionneur amateur : il a capturé personnellement la quasi-totalité des papillons de jour et de nuit français de sa collection, entre 1962 et 1992. De plus, une centaine de spécimens exotiques supplémentaires ont été capturés par ses soins lors de voyage, notamment aux Îles Canaries, au Mexique et au Guatemala. Pour enrichir sa collection, il a cependant fait l’acquisition, à l’occasion d’échanges divers, de quelques centaines de papillons à préparer soi-même, c’est-à-dire conservés en papillotes (ce qui est amusant lorsqu’on sait que, justement, le mot « papillotes » est étymologiquement rattaché au mot « papillon »). Ceux-là proviennent du Kenya, de Madagascar, des Comores ou encore de Mayotte.
Mais avoir une passion et la faire partager a du bon, si les connaissances peuvent s’en mêler, et profiter de leurs propres voyages pour ajouter une touche aux collections des amateurs. Ainsi, des parents et des amis du collectionneur lui ont rapporté des papillons, capturés par leurs soins en Guyane française et à Djibouti, pour la majorité d’entre eux. Des ajouts de qualité qui font plaisir ! Enfin, le collectionneur a également fait l’acquisition de papillons « en boîte » au Brésil, au Guatemala et à Cuba. La méthode est certes moins personnelle, mais permet d’obtenir des spécimens très rares ou difficiles à attraper. C’est une pratique commune dans les milieux des collections : après tout, dénicher un papillon rare dans une boutique d’un autre pays ou en cherchant dans une brocante procure le même plaisir que de l’attraper soi-même. Surtout qu’en matière de papillons exotiques, il est possible de passer à côté d’opportunités rares ! Par exemple, l’aimable passionné signale n’avoir vu qu’une seul fois un papillon vraiment exotique voler en France, en juin 2017, dans le jardin d’acclimatation de Paris. Il estime que l’insecte était sans doute d’une chenille d’importation « clandestine ». Dans tous les cas, il n’a pas réussi à le capturer, ni même à le prendre en photo avec son téléphone : le vol de ce papillon était particulièrement rapide.
Les raisons d’une collection de papillon
Un « collectionneur dans l’âme » : c’est ainsi que Jean-Yves Stoquer se qualifie. Il raconte ses passions passées : enfant, il a été philatéliste (les collections de timbres, une des collections les plus connues), numismate (les collections de pièces de monnaies et de médailles, qui ont regagné un nouveau souffle avec l’arrivée de l’euro) et même collectionneur d’armes et d’équipements militaires (un type de passion qui a évolué aujourd’hui, avec un nombre grandissant de personnes achetant des répliques de ces armes et équipements, afin d’avoir une collection aussi large que possible sans enfreindre la loi). Par la suite, il s’est enfin tourné vers la collection de papillon pour devenir « lépidoptériste amateur », titre qui s’oppose à l’avis exprimé au début de ce texte mais qu’il revendique, ainsi que collectionneur de roches et de minéraux, qu’il désigne de la même manière comme « géologue amateur ». Et tout ça dès l’adolescence, dans les « happy years » des années 60.
Mais il réfléchit aussi plus loin, et tente de comprendre les raisons plus personnelles qui l’ont poussé à se tourner vers cette activité. Il estime que, sur le fond de ce « hobby », il y avait probablement une attirance due à l’esthétique de ces insectes, en premier lieu, et ensuite un intérêt qui a été consolidé en prenant connaissance des données scientifiques qu’il a lu sur les papillons. Une considération esthétique qui s’est donc mue en considération scientifique, grâce à un ami d’enfance passionné de sciences naturelles, alors que ses inclinaisons initiales le menaient plutôt vers la physique, les mathématiques et l’Histoire de France. Ce qu’il a alors réalisé, c’est qu’un ensemble de connaissances sur une famille d’insecte comme les papillons était une excellente base pour aborder presque tous les cadres communs à l’étude de n’importe quel être vivant. Cela permet notamment d’apporter des réponses à certains mystères, à certaines questions qu’il est venu à se poser : comment survient le nanisme et le gigantisme, de manière générale ? Qu’est-ce que l’évolution arborescente ? Comment fonctionnent la phylogenèse et l’ontogenèse ? Le mimétisme se fait-il de manière active ou passive ? Et que dire des cas de parthénogénèse (mode de reproduction monoparental qui aboutit à une reproduction asexuée quand il n’y a pas assez de matériel génétique d’un des côtés) et d’hermaphrodisme (lorsqu’un individu est à la fois mâle et femelle, soit en simultanée soit de manière alternative) ?
En somme, ce que le collectionneur trouve, entre autres, dans sa passion pour les papillons, c’est une manière de combler en bonne partie les lacunes importantes qu’il avait dans les sciences du vivant. Ainsi, la collection de ces insectes lui apporte véritablement quelque chose, au-delà d’un aspect purement esthétique. Il rappelle par ailleurs, non sans malice, que George Brassens lui-même a fait une chanson sur le thème de la chasse au papillon. Surtout, il se révèle étonné lorsqu’il réalise que cette passion l’a poussé à lire énormément de littérature de vulgarisation sur le sujet : il cite notamment, en plus d’une vingtaine d’ouvrages sur les sciences de la vie et de la Terre, les textes de Stephen Jay Gould, un vulgarisateur américain à la fois paléontologue, professeur de géologie et d’histoire des sciences à la prestigieuse université d’Harvard, hélas décédé en 2002.
Poursuivre sa passion en parallèle de sa profession
Aujourd’hui, Jean-Yves Stoquer est ingénieur, et travaille avec son fils Michael dans le bâtiment, en se spécialisant dans les fondations spéciales, que ce soit pour réparer des bâtiments sinistrés ou préparer de nouvelles constructions. Un secteur à mille lieux des papillons, qui aide à comprendre d’où vient la satisfaction du collectionneur à pouvoir diversifier son champ de connaissance. Sa passion lui offre donc un excellent moyen de varier ses sujets de réflexions et le pousse sur de nouveaux terrains, en faisant un homme à la culture très hétéroclite.